L'enfant leva brièvement ses yeux larmoyants au ciel, le priant de ne pas confirmer les pires craintes qui lui traversaient maintenant l'esprit.
I beg you, O Father, please …

Mais le ciel, que l'on peinait à entrevoir entre les gigantesques buildings éclairés, avait prit une teinte d'encre dans laquelle ni lune ni étoile ne semblait percer. C'était comme si le ciel n'était plus là au dessus d'elle. La seule lumière qui éclairait sa petite silhouette serrée dans un manteau était celle artificielle des lampadaires, panneaux publicitaires colorés et fenêtre rectangulaires allumées en cette heure tardive. Les deux mains jointes sur la poitrine, se rentrant presque les ongles dans la peau pour conserver son calme, Abigail avançait en jetant des regards éperdus autour d'elle, inquiète à l'idée qu'on la voit, qu'on la remarque, elle, agnelle sans berger …

The Lord is my shepherd, I lack nothing.
He makes me lie down in green pastures,
he leads me beside quiet waters,
he refreshes my soul.
He guides me along the right paths
for his name’s sake.

… qu'on voit son visage rouge et bouffi tout comme ses yeux dont les sclères irrités, injectées de sang, faisaient ressortir de façon effrayante le bleu de ses iris, devant lesquels quelques mèches miel ébouriffées se balançaient. Ses joues étaient encore humides et elle avait parfois un sanglot dans la gorge qui lui faisait un hoquet qui lui coupait entièrement le souffle. Elle était laide à faire peur. Oh ! Comme son père le lui reprocherait quand il la verrait ! Et comme elle serait heureuse de se faire rabrouer par cette grosse voix rocailleuse !

Even though I walk
through the darkest valley,
I will fear no evil,
for you are with me;
your rod and your staff,
they comfort me.

Elle avait mal au crâne, comme si son cerveau trop gorgé de larmes pressait ses tempes. Elle avait mal, faim, peur, et elle était fatiguée. Elle prit une grande respiration avant de passer la porte à tourniquet du plus haut et plus massif bâtiment de toute l'île.
BadStories. Ici, ils auraient des informations sur son père. Peut-être était-il tellement plongé dans son travail qu'il s'y était oublié, avec l'heure, avec elle. Ils sauraient où il était. Ils devaient savoir.

A vingt heures trente passées, il n'y avait plus de réceptionniste à l’accueil. Ou bien était-elle en pause. C'était tant mieux. Abigail voulait son père, pas une foule d'adultes se pressant autour d'elle, la questionnant, puis questionnant son père. Mais il valait mieux pour cela qu'elle se hâte avant d'être vue. La tête basse, elle se dirigea vers l'ascenseur et appuya sur le bouton d'appel. Si elle se souvenait bien … le bureau de son père … qu'il partageait avec cet homme dont elle peinait à se souvenir du nom … ses épaules se secouèrent malgré elle … c'était peut-être l'étage 15 … peut-être pas. Elle frémit et coupa sa respiration. Elle allait se souvenir. Pitié, elle devait se souvenir en voyant les boutons de l’ascenseur. Et pitié, pitié, celui-ci devait vite venir, lui offrir un abri, une cachette.

You prepare a table before me
in the presence of my enemies.
You anoint my head with oil;
my cup overflows.

Tshhhhhhhh-k. Tshhhhhhh-k.
….nnn-nn-n-nn-nnn….
Tshhhhhhhh-k.
…nn-nn-n…
Tshhhhhhhh-k.
…’cause you had ‘n bad day, you’re takin’n ’ne down, you sin’ a sad son’ just to turn’it a---hmfp.
Tshhhhhhhh-k.
Urg, stupid old songs that stick to your mind.

Se dit Rin en arrêtant de mâchonner le stylo qu’elle avait trainé toute la journée avec elle. Elle fit une moue; les doigts de sa main libre tapaient impatiemment sur la photocopieuse qui semblait prendre une éternité à imprimer ses copies. Pour la semaine de relâche, Katja était partie hors de la ville avec ses enfants pour leur faire plaisir, laissant sa paperasse à sa secrétaire. Rin n’avait pas craché dessus, bien au contraire; après tout, c’était une preuve de confiance. La seule chose qui lui déplaisait, c’était qu’elle devait finir ses journées plus tard pour terminer non seulement ses responsabilités, mais celles qu’on lui avait aussi confié. La blondinette regarda sa montre dans un soupir : 20h37. Et dire qu’elle travaillait demain aussi. Les minutes filaient aussi vite que des escargots. … hm, ça faisait un moment qu’elle n’avait pas mangé d’escargot à l’ail. Agacée de plus belle, elle remit l’extrémité de son stylo entre ses dents avant de ramasser son paquet de feuilles fraichement imprimés. La chaleur des feuilles sur ses bras nus venait la picoter, mais se faisait rassurante en un sens, comme une chaleur agréable. Elle s’arracha son crayon des dents –gardant cependant le capuchon bien serré entre celles-ci- pour signer la dernière feuille de son document qui venait tout juste de sortir. Remettant le capuchon de son stylo, elle ferma l’imprimante et se mit en marche. Le claquement de ses talons tuait le silence qui régnait depuis plus de deux heures. Tout le monde était déjà parti depuis un moment déjà. La secrétaire était la seule âme présente sur son étage… La blonde frissonna à cette idée, qui pourtant n’avait rien d’exceptionnel.
Une fois à son bureau, Rin brocha son document, ferma et rangea ses affaires, changea ses talons hauts pour ses bottes de printemps, enfila son coupe-vent rembourré, enroula son foulard autour de son cou et prit son sac-à-main. Prête à partir, elle déposa ses feuilles dans un pigeonnier au passage et ferma les lumières de son étage avant de prendre l’ascenseur. Le bruit de celui-ci vint casser le silence qui semblait s’être rétablit un moment, puis la jeune femme embarqua. Elle prit un moment pour observer son reflet dans les miroirs encore tachés de traces de doigts de la journée.

… Dans moins de deux mois.

Elle lâcha son propre regard pour replacer ses cheveux qui commençait à prendre de la statique. L’ascenseur se stabilisa, et elle en profita pour fouiller dans son sac à main un moment avant de sortir. Cependant, une forme la fit sursauté à l’ouverture des portes, surprise de voir quelqu’un à cette heure, prêt à monter ou descendre des étages.

-Ihhk!…

Ce n’était qu’une enfant qui, sur le coup, ne semblait pas plus différente d’un autre. Rin ne remarqua même pas son visage qui avait visiblement été noyé dans des larmes, trop occupée à gérer son cœur qui avait manqué un battement.
Qu’est-ce qu’elle fait ici.
Fermant les yeux un instant, les sourcils froncés, elle commença le plus calmement possible, espérant s’en débarrasser :

-…Attends-tu quelqu’un?

Elle hésita un moment, puis continua :

-Are you waiting for someone?

Après tout, elle aussi avait hâte de rentrer chez elle. … Son visage boursoufflé lui sauta un peu plus aux yeux.

-...Are you okay?

Elle aperçut l'interstice entre les portes s'éclairer avant que celles ci ne s'ouvrent. La fillette voulut immédiatement s'y engouffrer, seulement ...

Ihhk!…
Yiip !! glapit-elle de concert, figée par la surprise, levant les yeux vers la femme avec l'air d'un faon prit dans les phares d'une voiture.

Attends-tu quelqu’un?
Elle ouvrit la bouche sur une réponse muette en passant son poids d'un pied à l'autre, répondant à ses impulsions contraires entre la fuite et la recherche de son père.
Are you waiting for someone?
Après tout, la femme l'avait ici sous ses yeux. Si elle s'enfuyait, ce serait peut-être pire encore. Elle sentit distinctement ses cordes vocales remuer sans qu'aucun son ne sorte de sa gorge, pas même un couinement.
...Are you okay?

Elle opina du chef brièvement, déglutissant pour libérer le passage à ses paroles, ou plutôt à ses explications.
I-I'm Ab-Abigail MacD-Duncan ... ! Elle hoquetait bien malgré elle, ne parvenant pas à s'apaiser. My father w-works here. I-I tried to, to call him. He's so la-late. He, he's not answ-wering, nor com-ming back ... Son nez se remit à couler, l'obligeant à renifler sans parvenir à le déboucher. L'étau se resserra encore autour de sa gorge. I thou-ought som-m-meone could ttell me why here ... Elle grimaça malgré elle, sa vision se brouillant et baissa la tête. Un long frisson courut le long de son dos. I'm scared. Why isn't he coming back.

Elle ne devait pas pleurer. Peut-être n'était-il pas mort. Juste en retard. Occupé. Elle ne devait pas pleurer. Surtout pas devant une étrangère. Ses doigts se nouèrent et tordirent avec angoisse, semblant chercher à se planter les ongles dans la chaire. Elle ne devait pas pleurer.

Ses prunelles bleues, perplexes, ne lâchaient pas une seconde la gamine qui refondait presqu’en larmes devant elle. Rin restait droite, bien qu’elle frissonna de malaise en entendant son nom. MacDuncan. Elle était au courant pour lui… Enfin, plus ou moins : La rumeur que le laboratoire d’alchimie avait été attaqué dans la journée était passé de bouche à oreille comme l’éclair à l’agence, sans vraiment qu’il y ait une quelconque confirmation de la part de leurs patrons. Rin n’y avait pas vraiment fait attention, trop plongée dans son travail; mais elle avait entendu des noms ici et là. Et la situation présente venait lui confirmer que, effectivement, Mad dog (et probablement d’autres) avait bel et bien fini sa journée par une visite à l’hôpital.

-hh…
-I'm scared. Why isn't he coming back.

La jeune femme fit une moue :

-…D-don’t worry…

Elle sorti la main de son sac à main, et lui tendu un paquet de mouchoir. Son expression essaya de se faire réconfortante, mais elle n’arrivait toujours pas à cacher sa confusion.

-I’m sure your father is okay. … He’s a.—hm.

Devait-elle lui dire que son père était l’hôpital? Pour son moral, probablement pas. … mais en même temps… elle ne pouvait pas la renvoyer chez elle, si? Ça serait irresponsable de sa part, étant donné qu’Abigail était toute seule. …MacDuncan la tuerait –s’il n’était pas déjà mort- en apprenant qu’elle avait laissé sa gamine toute seule. Ça serait inévitable. Urg. La blondinette reprit une grande inspiration :

-He’s at hospital. I—

Elle soupira, voulant lui éviter une autre crise de larmes. Elle espérait que sa bienveillance –tousse tousse- porte ses fruits : elle sacrifiait quand même sa soirée pour une gamine qu’elle ne connaissait pas. Elle se risqua, espérant qu’Abigail ne se sauve pas en lui crachant au visage, comme tout gamin ingras pourrait faire.

-I can bring you there if you want. …?

Dans le pire des cas, elle la laisserait à l’entrée de l’hôpital, rien ne l'obligeait à rester avec elle après ça.

…D-don’t worry…

Elle tenta d'obéir à le jeune femme et de retrouver un semblant de self-control. Ah, son père en eut eu tellement plus dans la même situation ! Le voyait-on jamais, lui, s'effondrer en larmes ? Céder publiquement et aussi violemment à une émotion ? Elle étouffa un hoquet et saisit du bout des doigts le paquet de mouchoirs avant d'esquisser une rapide génuflexion pour la remercier, puisqu'elle ne se sentait pas réellement capable d'aligner mots sans bégayer misérablement. Elle sortit un mouchoir en papier et s'en tamponna les paupières, essuyant un peu ses joues baignées de larmes, sans oser couper la femme dans sa réflexion en se mouchant.

I’m sure your father is okay. … He’s a.—hm. He’s at hospital. I—

Elle leva de grands yeux anxieux vers elle. L’hôpital, c'était certes bien mieux que ... que d'être brutalement orpheline. Mais s'il était à l’hôpital, il n'était pas "okay". Son père était un homme robuste, un combattant comme le prouvaient les nombreuses marques sur son corps. Elle l'avait vu se soigner, la soigner, sans impliquer de médecin. S'il était à l'hôpital, il était tout sauf "okay". Elle se força à respirer, à étouffer les visions d'horreur que son esprit fertile lui imposait de son père gisant. Au moins était-il en vie selon les dires de la femme.

I can bring you there if you want. …?
Elle déglutit, se força à tirer un sourire en hochant la tête avant d'articuler aussi clairement qu'elle le pouvait en se penchant à nouveau en une révérence brouillonne :
Could, you, please ?

-Could, you, please ?
-Sure.

Dit-elle dans un soupir, faussant un sourire (comme à son habitude de toute façon) quoique un peu malaisée, probablement du fait que personne ne remerciait avec des révérences depuis au moins 50 ans??

-Hm…

Elle hésita, comme si elle avait l’impression de manquer quelque chose. Tant pis, elle ne voulait pas perdre de temps de toute façon.

-Let’s go then, it’s not far from here.

Et la jeune femme sortit de l’immeuble et entreprit sa marche à l’extérieur. Marchant avec son pas habituel (rapide, typique d’une personne de ville pressée), quelque chose la tiquait : elle ne se rappelait pas d’avoir vu MacDuncan avec un enfant au bal d’halloween. En fait, depuis quand avait-il un enfant? Lui? Et où était la mère? Peut-être avaient-ils divorcés et qu’Abigail passait un séjour chez son père? … Ce qui expliquerait bien des choses; qui voudrait coucher avec lui de toute façon? (Okay, peut-être elle si elle pouvait en tirer quelque chose d’utile, mais tout de même. ) En fait, la rumeur qu’il était frigide, était-elle vrai? . . . Ou plutôt, peut-être que des adultes ne l’intéressait pas, ce qui expliquerait sa probable impuissance et peut-être avait-il kidnappé cette gamine pour--

-Ah…

Rin ralentie et stoppa complètement, se tournant dans la direction de la petite –qu’elle avait probablement distancée sans le vouloir-. Elle porta sa main derrière son oreille pour y ranger ses cheveux.

-I’m sorry, I’ll go slower.

S’il fallait en plus qu’elle la perde parce qu’elle marchait trop vite, ça serait une belle ironie du sort. Enfant kidnappée ou pas, Arelan tuerait s’il lui arrivait quelque chose. (Juste à voir son visage! On pouvait deviner qu’il s’agissait d’un type violent! Non? )

Elle leva des yeux de chien battu vers la jeune femme à sa rapide hésitation. Avait-elle oublié quelque chose derrière elle ? Avait-elle, Abigail, fait quelque chose de mal ? Elle voulait juste partir au plus vite, retrouver son père, se blottir dans ses bras et endormir son mal de crâne.

Let’s go then, it’s not far from here.
Thank you ... remercia la petite sous son souffle, manquant de plier à nouveau le genou avant de se précipiter à la suite de la jeune femme, trottinant à bon rythme pour rester sur ses talons presque. Bientôt, elle reverrai son père. Il serait probablement fâché qu'elle ait l'air aussi bouffi et déconfis mais au moins, elle serait avec lui. Pourvu qu'il- non, non. Il irait bien. Il n'avait pas le droit d'aller mal. Enfin, pas trop mal. Pas au point où l'on ne peut pas du tout s'occuper de sa fille. Il n'avait pas le droit. C'était son rôle. Elle se promit néanmoins de l'aider encore plus à la maison quand ils rentreraient ensemble. Elle avait fait un peu de ménage déjà.

Elle sortit de sa rêverie lorsque la jeune femme s'arrêta.
Ah… I’m sorry, I’ll go slower.
C'était vrai qu'elle marchait drôlement vite, et la petite devait trottiner avec énergie pour garder le rythme, sentant les veines à ses tempes battre - mais ce n'était que le mal de tête dû aux pleurs.
No, no, it's okay. We gotta get to Father quickly.

Il était probablement aussi inquiet qu'elle. L'enfant regarda alors réellement le visage de sa sauveuse d'un soir, ayant levé le visage vers elle. Elle avait un beau visage fin et harmonieux entouré de cheveux courts, un joli nez fin, et droit, contrairement à celui de son père, ainsi que des yeux dont elle devinait assez mal la couleur, la devinant cependant claire. C'était somme toute une belle dame, avec un peu de la beauté calme de la sœur Christina. Elle fit un geste en avant, voulant poursuivre leur marche vers l’hôpital et vers son père.

Oh ! Um... I meant to ask you but I forgot, I'm sorry... what's your name, Miss ?

-No, no, it's okay. We gotta get to Father quickly.
- … still…

Fit-elle à moitié étouffée, en fronçant les sourcils. Rin avait l’impression de se faire dévisager par la petite, comme si elle se faisait jugée. Elle se morda la joue de malaise.

-Oh ! Um... I meant to ask you but I forgot, I'm sorry... what's your name, Miss ?
- Ah, you can call me Rin.

Lui réponda-t-elle d’un ton neutre, se doutant bien que son père lui avait probablement enseigné à appeler les gens par leur nom de famille, vu ses manières. La jeune femme recommença sa marche, prenant soin de s’assurer qu’Abigail suivait le rythme cette fois. Pour garder son attention sur la gamine –et pour la rassurer un peu et la mettre en confiance, peut-être- , elle décida d’entreprendre la conversation.

-I’m working for the counsil… I met your father three or four time.

Ah, you can call me Rin.
La fillette hocha la tête, tentant d'enregistrer le nom de la jeune femme, tout en sachant qu'elle l'oublierait rapidement. Elles se remirent en marche et elle cessa de la regarder, préférant se concentrer sur les rues autour d'elle, les hommes et les femmes sortant doucement des immeubles de façon de plus en plus éparses.
I’m working for the counsil… I met your father three or four time.
The council ? Father told me very important decisions are taken there, as for his orders and such.
Elle avait baissé un peu la tête, soumise devant cette jeune - peut-être pas tant que ça alors?- conseillère, préférant ne pas l'énerver et rester polie pour qu'il n'y ait aucune répercussion sur son père.

-Hm, I’m not in the « making decision » team. I’m actually helping them with their work : organizing schedules, talking to people, reading important documents…

Peut-être que le titre « Adointe-administrative » était un terme trop compliqué à comprendre pour une jeune enfant, et comme secrétaire pouvait être connoté négativement, Rin se permit d’en donner la description qu’elle voulait. Peut-être se donnait-elle un peu trop de prestige pour ce qu’elle était vraiment. … Après tout c’était de sa faute si les stéréotypes de secrétaires aux larges décolletés perpétuaient encore.

-My work is actually more related to the image of the compagny rather than the phantoms and the incarnations.

Elle regarda au loin un moment, absente.

-We’re almost there.

Reprit-elle en jetant un coup d'oeil à la petite.

Elle leva un peu ses yeux, qui la brûlaient, lorsque la jeune femme expliqua son travail avec plus de précision, mais dû rapidement se re-concentrer sur là où elle mettait les pieds lorsqu'elle trébucha, sans conséquence, heureusement. Une simple maladresse.
Hm, I’m not in the « making decision » team. I’m actually helping them with their work : organizing schedules, talking to people, reading important documents…
Oh, so you help them ?

Il n'y avait aucune déception dans sa voix, une simple constatation presque soulagée. C'était comme parler à l'aide d'un roi au lieu de parler au roi directement. Il y avait moins de protocole, moins d'enjeu. Elle était une aide, elle servait. Comme son père servait les intérêts de BadStories, et de là même, de toute la ville et plus encore. Il protégeait les gens, les surveillait, et parfois, il l'avait admit, il devait aussi les punir s'ils faisaient mal. C'était un protecteur, un berger, presque un héros. Ses cicatrices le montraient d'ailleurs. Elles montraient qu'il se battait comme un lion pour les autres, pour les défendre. Mais elle n'avait pas besoin de dire tout cela à la jeune femme, qui devait déjà le savoir, puisqu'elle connaissait un peu son père et travaillait plus ou moins avec lui.

My work is actually more related to the image of the compagny rather than the phantoms and the incarnations.
Oh. Donc elle ne travaillait pas tant avec son père que cela.
You make sure they have a good reputation ? And that people know about BadStories, so they know where they can seek help ? éprouva-t-elle le besoin de paraphraser pour être sûre de bien comprendre. Et si elle avait bien compris, le travail de la dame n'était pas une mince affaire non plus. Elle était chargée de faire savoir à tant de monde ce que BadStories pouvait faire pour eux, les chercher partout pour être sûre qu'ils ne restent pas en difficultés. Même si elle ne faisait « qu'aider », ce n'était pas une mince affaire.

Son annonce de la proximité de l'hôpital lui fit presser le pas, sentant à nouveau l’appréhension la saisir plus que le soulagement. Comment était-elle sensée réagir si son père n'était pas si « okay » que ça ? Comment était-elle supposée faire sans lui ? Toute seule dans une si grande ville ? Elle s'arrêta au rebord du trottoir, attendant sa guide pour traverser le passage pour piéton, frottant nerveusement ses mains l'une contre l'autre.
I really hope he's okay … souffla-t-elle tout bas comme pour elle-même.

Un sourire s’élargie sur les traits de la jeune femme, fière de voir qu’Abigail ne la voyait pas comme quelque chose d’inutile. Comparé à certains de ses collègues, elle avait enfin l’impression d’avoir un minimum de reconnaissance pour son travail. Ça la rendait heureuse.

Arrivée au passage piétonnier, elle fut surprise de voir que la petite l’attendait, un peu anxieuse. Rin s’arrêta à son tour, à côté d’elle, puis la regarda avec un air confus :

-Do… I need to take your hand or..?

Elle savait que cela pouvait rendre certains enfants nerveux de traverser une rue sans tenir la main d’un adulte, elle avait déjà été comme ça, tellement on les conditionnait jeunes au danger de la rue. Probablement que les écoles en remettaient une couche, et avaient redoublé d’effort à d’autres sorte de « danger », surtout depuis que Sweetdreams avait compris que toutes les incarnations n’étaient pas nécessairement « gentilles ». Après tout, l’année dernière, une incarnation du Père Noël fut accusée d’avoir amené 5 gamins dans son traineau, et de les avoir amenés avec lui au Pôle Nord pour leur montrer son plus beau « jouet ». Disons que la magie de Noël s’était vite évanouie pour Rin après ça, laissant un petit goût amer pour le temps des fêtes.

Justement, avait-elle le droit de prendre la main d’un enfant qui n’était pas le sien? Il y avait tellement d’accusations d’harcèlements ou d’agressions sur les enfants maintenant qu’elle avait peur qu’Abigail crit au meurtre si jamais elle l’effleurait. Ou pire, qu’un passant qui connaissait la petite MacDuncan remarque qu’elle n’était avec aucun de ses parents, et donc que Rin était forcément… Sa gardienne? Probablement : elle avait la chance d’être une femme, mais avoir été un homme aurait pu très mal virer. En fait, peut-être qu’elle se faisait des idées, surtout fatiguée de sa longue journée. Son esprit dérivait dès qu’il en avait l’occasion.

Abigail leva le nez, cherchant entre les immeubles la massive croix de couleur sanglante qui aurait pu leur indiquer la proximité de l'hôpital, sans succès. Les gigantesques grattes-ciel rectangulaires lui barraient la vue. Si seulement elles pouvaient se presser …

La dame – et mince, voilà qu'elle avait oublié son nom – s'arrêta alors que des voitures passaient devant elles.
Do… I need to take your hand or..?
L'enfant la regarda avec un petit sourire. Son père avait parfois le même air confus, dont il s'excusait humblement en disant que si c'était sa première fois d'être une enfant, c'était sa première fois d'être ainsi père, son père, qu'il n'avait jamais eut affaire à une telle situation et qu'il apprenait, lui aussi. Peut-être était-ce la première fois aussi que la jeune femme s'occupait ainsi d'une enfant, qu'elle ne connaissait pas qui plus est.
No, thank you, it will be fine. I … just … wanted to wait for you, like you did earlier ! Furthermore, you know where we're going. And … I'm safer with you, right ?

Elle cligna de ses grands yeux de Bambi vers la jeune femme, ne voulant pas douter d'une collègue de son père. C'était vrai pourtant. Elle prétendait savoir savait où se trouvait le centre hospitalier et comment s'y rendre, et était plus mûre et plus grande qu'elle. Elle n'était qu'une enfant, elle. Elle paniquait à l'idée d'être seule et abandonnée en ce monde cruel où rôdaient hommes mauvais, loups, ogres et sorcières. Seule, elle risquait de se perdre, d'être emportée par la foule, heureusement plus éparse – quoique, à peine – à cette heure. Son père la tenait souvent par la main s'ils devaient couper à travers la foule, craignant les courants humains. Et puis, petite comme elle était, serrée dans son manteau, les voitures auraient pu ne pas la voir dans les lumières des panneaux publicitaires alors qu'ils la verraient, elle, montée sur ses talons. La lumière du passage pour piéton passa au vert, attirant son œil.
Come on, let's go. la pressa Abigail en s'engageant sur la route.

- You are.

Lui répondu-t-elle en toute honnêteté, ou en mensonge bien caché, derrière son sourire artificiel typique.

Elles se fixèrent un moment, sans parler. Observant le visage –bien qu’encore engourdit des larmes- de la petite MacDuncan, Rin fronça les sourcils discrètement qu’un instant. À travers ses traits qui ne ressemblaient en rien à celui du phantom, elle avait plutôt l’impression de revoir sa sœur plus jeune, ou de se voir. La blonde mordu le flan intérieur de l’une de ses joues : le temps passait tellement vite. Abigail la fit sortir de sa bulle en se mouvant.

-Come on, let's go.
-uh, yes.

Elle pressa à ses côtés, oubliant le train de penser qui l’avait hanté quelques instants plutôt, pour être remplacé par son insistante envie d’aller se reposer dans son lit. Rin soupira, espérant se redonner un peu de courage et de force pour le reste de sa soirée qui était gâchée.

L'envie la prit, un bref instant, en s'engageant sur le passage clouté, de chercher son contact physique, pour se réchauffer, se rassurer, sentir physiquement, par la tiédeur d'une peau, un peu de soutien. Mais ce n'était pas celui de la jeune femme qu'elle cherchait. Elle voulait sentir ses petits doigts dans la paume sèche, rugueuse, cornue, de son père, dans cette poigne ferme, rassurante lorsque l'on a que sept ans, qu'il fait nuit, et que la ville froide de béton, autour de vous, murmure les vieilles menaces d'orphelinat et de solitude. Un long frisson la parcourut, alors qu'elle frottait ses bras avec angoisse. Elle n'était pas seule et son père allait bien. Si elle répétait ce mensonge assez souvent, elle en gagnerait la certitude. La vue d'un panneau de circulation indiquant, éclairé par la lumière d'un drugstore, la proximité de l'hôpital St.Luke, ne lui apporta aucun réconfort.