Automne 2025

La journée était longue. Aux portes de l'Automne, le Soleil avait décidé de frapper plus fort pour bien finir sa saison. Le beau temps, Astrydd aimait bien ça lorsqu’elle pouvait en profiter. Mais pas maintenant. Elle aurait préféré qu’il pleuve aujourd’hui, que le ciel soit gris. Elle aurait préféré pouvoir bougonner contre le froid tandis qu’elle s’activait ici et là. Elle n’arrivait pas à se concentrer lorsque le temps était agréable comme aujourd’hui. Elle ne pouvait pas s’empêcher de divaguer en pensant à ce qu’elle pourrait faire une fois sortie du travail. Quelle idée... Que pouvait-elle faire d’autre que ce qu’elle avait déjà prévu ? C’était bien pour cela qu’elle n’avait pas envie de se laisser aller à ses pensées. Le déroulement de sa journée était déjà tout préparé et ce, plus ou moins contre son gré.

Le pont en panne, Astrydd avait du ressortir la vieille planche à roulettes qui lui permettait de se glisser aisément en dessous des voitures. Ses mouvements étaient, certes, beaucoup plus limités dû à l’espace réduit, mais elle avait tout de même réussi à voir ce qui clochait sous le véhicule qu’on lui avait confié aujourd’hui. La jeune femme, à l’aide de ses talons, s’extirpa du dessous de l’automobile. En se redressant, elle réalisa à quel point son appréhension de l’espace était devenue mauvaise : elle heurta douloureusement le par choc avant et fut contrainte de se rallonger, des étoiles tournant autour de sa tête. Elle attendit quelques secondes ainsi, les yeux clos, avant de refaire une tentative ; cette fois-ci, elle parvint à s’assoir sans encombres.

Elle tâtonna son front par pure précaution : à part une vilaine petite bosse qui grossirait encore un peu, il n’y avait rien de grave. Astrydd fit une grimace et manqua une nouvelle fois de se faire mal en s’appuyant sur le bord de la planche qui bascula subitement sur le côté. Maladroite mais pas longue à la détente, la jeune femme mit tout son poids de l’autre côté pour éviter de tomber : une réussite. Elle poussa un long soupir, regarda autour d’elle. Parfois, elle regrettait de travailler seule pour ce genre de choses : si elle venait à perdre conscience, qui pourrait l’aider ? Il lui faudrait attendre de longues heures, après son service, pour que quelqu’un comprenne que quelque chose clochait. Et encore... Elle avait pris l’habitude de faire des heures supplémentaires ; encore une chose qui la poussait à réfléchir à l’éventuel recrutement d’un apprenti.

En quelques pas, Astrydd traversa le garage dont le sol gris était parsemé d’outils en tous genres et se posta à l’entrée. Les grandes portes, ouvertes au maximum, laissaient percevoir le paysage lumineux : certes, l’environnement en lui-même n’était pas très chaleureux – un vieux grillage rouillé ainsi qu’un minuscule parking bordé de mauvaises herbes lui faisaient face et séparaient le garage d’une petite départementale – mais le beau temps aidait à l’apprécier un peu plus que d’habitude. La jeune mécanicienne prit une grande bouffée d’air et resta quelques minutes là, à profiter du calme et des rayons de soleil caressant sa peau.

Son instant de tranquillité fut de courte durée. D’habitude, peu de monde passait au beau milieu de l’après-midi ; la plupart des gens travaillait et venait donc déposer ou chercher leur automobile le matin ou en fin de journée. Mais visiblement, ce n’était pas le cas de la personne qui approchait à grands pas : un gars blond, plutôt class’ dans son apparence, des lunettes noires sur les yeux. Astrydd se tourna rapidement vers lui tandis qu’il accourait en sa direction.

- Hey ! Where’s the car location shop ?

L’éternelle jeune femme croisa les bras et secoua la tête.

- No sorry, it’s a...
- McClannnneeeeeee… !

Le cri inattendu, en plus de la couper dans sa phrase, l’obligea à détourner les yeux de son interlocuteur pour observer plus loin, dans la rue. Elle n’était pas la seule à avoir été alertée par ce qui s’apparentait à un nom. En entendant le murmure de l’homme, Astrydd comprit immédiatement qu’il s’agissait du sien. La demoiselle hésita un instant, fronçant des sourcils. D’un côté elle n’avait pas envie de s’attirer des problèmes, elle qui venait tout juste de s’installer ici et qui s’en sortait plutôt bien dans ses affaires, mais d’un autre... L’homme était déjà là, et elle était donc concernée par son problème malgré elle. Sans le prévenir, elle agrippa le col de McClane et le tira au milieu de l’atelier de manière à ce qu’il ne soit pas vu depuis l’extérieur. Elle le colla sans ménagement contre le mur, entre une pile de pneus et une étagère remplie de caisses à outils. Le spectre leva l’index devant l’homme et lui accorda un regard presque sévère, les sourcils toujours froncés.

- Stay here.

Sans attendre une quelconque réaction de sa part, la demoiselle s’éloigna, passant devant la grande ouverture du garage qui donnait sur la rue. Elle jeta un bref coup d’œil à l’extérieur, s’assura que personne d’autre n’approchait. Puis elle se dirigea vers l’automobile sur laquelle elle était en train de travailler, reprenant ses activités comme si de rien n’était. En réalité, elle feintait l’innocence. Elle faisait comme si de rien n’était pour pas éveiller les soupçons, pour ne pas montrer qu’elle abritait un parfait inconnu. Pour sûr que l’homme n’allait pas s’en tirer aussi facilement une fois qu’elle serait sûre que personne ne débarquerait dans son garage pour régler ses affaires personnelles !

Astrydd n’avait rien laissé paraître de son agacement, alors que les manières de l’homme qu’elle venait de couvrir pour on ne sait quelles raisons étaient à ses yeux inadmissibles. Elle ignorait encore dans quel pétrin il s’était fourré – et elle par la même occasion, du coup – mais quelque chose lui disait qu’elle n’allait pas tarder à le savoir. Alors qu’elle s’apprêtait à se glisser une fois de plus sous le véhicule, l’injure que laissa échapper l’homme contre le mur attira son attention. Elle le suivit du regard, le vit se déplacer derrière une des piles de pneus. Instinctivement, elle détourna les yeux. S’il s’était déplacé, c’était pour une raison, et elle ne devait pas dévoiler sa position pour le moment. Elle s’apprêtait à tourner tranquillement la tête vers l’entrée du garage mais le bruit inattendu, celui des griffes sur le béton, déforma très légèrement son visage, avant de totalement le changer.

Elle n’avait jamais vu une telle bête. Depuis sa mort – et plus précisément depuis qu’elle était devenue un spectre –, Astrydd avait accepté de croire que certaines entités que l’on disait « fictives » pouvaient réellement exister. Certes, elle préférait toujours voir pour le croire... Mais maintenant, elle en était bel et bien sûre : mitigée entre l’admiration et une légère crainte, elle resta assise sur sa planche à roulettes à observer la bestiole. Autant, les humains, elle n’en avait pas peur : concrètement, ils ne pouvaient rien lui faire. Cependant, elle ne savait trop peu sur les créatures mythologiques et ce manque d’informations la poussait à être vigilante vis à vis de celles-ci.

- Where is he !? Where is HE !? I saw him !

L’éternelle jeune femme choisit finalement de ne pas se laisser marcher sur les pieds ; après tout, elle était dans SON garage, et la bête, sous cette forme, n’était pas à sa place dans une ville civilisée. Elle se redressa calmement et ferma les poings. L’un d’entre eux tenaient d’ailleurs une large clé en métal dont elle n’hésiterait pas à se servir en cas de problèmes, même si elle n’appréciait pas devoir abîmer son matériel.

- Saw who? fit-elle dans un léger mouvement de tête avant de croiser les bras sur sa poitrine. Firstly, we say « hello » when we enter somewhere. Secondly, we can talk calmly if you stop to shout. Thirdly, your problems isn’t mine. So, you have to turn around and leave my garage. Thanks.

En voyant approcher la créature d’elle, Astrydd recula doucement, les sourcils froncés. Elle n’allait certainement pas céder à cette chose aussi facilement qu’elle le voudrait, mais il fallait tout de même qu’elle pense à sa sécurité ; à l’origine et comme elle l’avait si bien dit, ses problèmes n’étaient pas les siens : elle n’avait donc pas à prendre de risques pour un autre qu’elle ne connaissait absolument pas.

- Who do you think you areeeee ? You say we can talk calmly and yet you want me out of your sight ?! What is this nosense !!

L’éternelle jeune femme fut vite confrontée à l’immonde bestiole, sa gueule près de son visage. Elle se rendit rapidement compte qu’elle avait une autre raison de reculer cette fois-ci : son haleine. Elle était chaude et son odeur était insupportable. Qu’est-ce que cette créature pouvait bien manger pour sentir aussi fort ?!

- Mind your own business girl !! YOU out of my sight !

Ce ne fut qu’au dernier moment qu’elle vit le bras de Jersey Devil se lever au dessus d’elle, menaçant. Evidemment, pourquoi lui aurait-il laissé la vie sauve ? Un bref sourire étira les lèvres du spectre qui s’apprêtait à reprendre sa forme nébuleuse pour échapper à la frappe de la créature quand une autre voix se mêla à la conversation.

- Maaan Jersey !… Where are your wings ?

A l’image de Jersey Devil, Astrydd tourna vivement la tête vers Roy qui était sorti de sa cachette. Elle roula des yeux et riva un regard noir sur lui. Quel imbécile ! Elle qui se défendait d’avoir quelque chose à voir avec cette histoire, voilà qu’elle était devenue l’acolyte de l’homme recherché malgré elle ! Aveuglée par son dépit, elle n’eut pas le temps de faire quoi que ce soit qu’elle se retrouva subitement repoussée de plusieurs mètres, atteinte d'une étrange douleur au niveau des côtes. Prise par surprise, elle ne réussit pas à se réceptionner et heurta douloureusement une moto qui tomba avec elle dans un gros fracas. Des bruits aux alentours attirèrent rapidement son attention et ce qu’elle vit la fit écarquiller les yeux. La colère prit soudainement pas sur la douleur de sa chute : tout était en train d’être saccagé. Les voitures qu’on lui avait confiées, ses rangements soigneusement réalisés... Elle se sentait bouillonner, si bien qu’elle finit par lâcher un cri guttural parfaitement démonstratif de ce qu’elle ressentait.

- RRRRWWAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !!

Elle frappa violemment sa clé sur le sol et se releva furieusement. Que ce soit l’un ou l’autre, ils allaient tous les deux payer pour ce qu’ils venaient de faire : pour avoir ruiné sa réputation, et la possible confiance de ses clients. Pour avoir bousillé tous les efforts qu’elle avait fournis pour ouvrir son propre garage et le maintenir. Et pour lui avoir fourni, par leur bataille privée, un nombre d'heures incalculables de travail à faire ici, que ce soit sur les automobiles que dans le garage lui-même.

Son cri l’avait défoulée mais n’avait pas pour autant calmé les deux autres qui s’étaient rapidement remis à se chamailler – si on pouvait appeler cela de la chamaillerie. Toutefois, Roy semblait avoir repris le dessus sur la créature qui se tordait de douleur : il venait de lui arracher quelque chose. C’était un bon point, ou pas, selon la réaction de l’immonde chose qui se tenait dans son garage. Et comme si cela ne suffisait pas, le jeune homme continuait à le chercher ! Astrydd laissa échapper un très léger grognement tandis qu’elle dévisageait la personne qu’elle était censée protéger avant de se concentrer de nouveau sur Jersey Devil. Il avait le dos tourné, c’était le bon moment pour elle de l’attaquer... D’autant plus qu’elle savait désormais ce qui pouvait réellement lui faire du mal.

La jeune femme se mit soudainement à courir. Ses pas étaient légers et rapides, mais elle doutait malgré tout de pouvoir atteindre la créature avant qu’elle ne se rende compte de l’offensive. C’est pour cette raison qu’elle leva sa clé à molette devant elle, par pure défense : ce n’était pas le moment de finir embrochée sur les panaches de la bête. Cela ne pourrait évidemment pas la tuer – elle ne pouvait pas être plus morte qu’elle l’était –, mais ça pouvait malgré tout être embêtant. Oui, embêtant. Par chance, la bestiole ne se contenta que de tourner la tête, probablement surprise par l’arrivée éclair d’Astrydd qui bondit soudainement pour atterrir sur son dos. Sans prendre la peine de s’accrocher, elle brandit sa clé à molette au dessus de sa tête avant de la rabattre violemment sur l’un des panaches de Jersey qui craqua.

Astrydd continua à mettre toute sa puissance sur la tête de Jersey Devil. Si, en plus de lui casser ses panaches, elle pouvait l’étourdir, cela faciliterait grandement la tâche pour la suite ! Toutefois, elle n’eut pas le temps de le faire ; bien sûr, la créature s’était rendu compte de la présence ennemie sur son dos – comment n’aurait-elle pas pu ? – et elle tentait frénétiquement de s’en débarrasser, se jetant d’un côté et d’un autre, bougeant tel un diable. L’éternelle jeune femme s’agrippait elle-aussi vivement, mais elle ne vit pas venir le mouvement qui la désarçonna violemment. Les griffes de la créature rencontra sa peau, elle se fit tirer de sur son dos et fit un vol plané. Elle n’eut pas le temps de se préparer au choc de la chute, mais celle-ci lui parut plus douce que ce qu’elle avait prévu. Ce ne fut qu’en relevant légèrement les yeux qu’elle comprit qu’elle avait tout simplement atterrie sur son « protégé ».

Oubliant immédiatement la situation dans laquelle elle se trouvait, Astrydd tourna vivement la tête dans la dernière direction de Jersey : elle qui s’attendait à une nouvelle contre-attaque, elle le vit simplement disparaître de son garage. Du peu qu’elle put voir, la créature semblait bien amochée. Cela faillit lui arracher un sourire, mais elle fut vite rappelée à l’ordre par une chaleur sur son épaule. Par pure méfiance, Astrydd faillit donner un coup de coude en arrière, mais elle se souvint juste à temps que ce n’était que l’homme et que celui-ci s’inquiétait de son état – du moins, il semblait. La demoiselle ne lui fournit pas de réponse. Elle le regarda, hébétée, puis accorda un coup d’oeil au garage : il était saccagé. Vraiment saccagé. Non seulement ses outils étaient dérangés, les étagères étaient tombées, ses rangements n’en étaient plus... Mais les véhicules avaient aussi pris cher : ils étaient cabossés, la carrosserie était enfoncée à certains endroits. Un vrai carnage.

Pour toute réponse à sa question, le spectre avança soudainement la tête et donna un violent coup de boule à Roy. Non seulement elle avait besoin de se défouler, mais il le méritait aussi.

- Espèce de connard décérébré ! cracha-t-elle en français en se massant le front. Dans quelle merde tu m’as foutue ?!

Le rire de Roy était tellement insoutenable à ses oreilles qu’Astrydd faillit lui coller une claque. Toutefois, elle se retint de justesse et se contenta de serrer ses poings jusqu’à ce que ses phalanges en deviennent blanches. Elle n’écouta qu’à moitié les questions du jeune homme mais un bout de phrase parvint à ses oreilles, probablement le mauvais : it’s only a little scratch. Alors pour lui, tout ce massacre n’était qu’un petit loupé ? N’avait-il pas conscience de tout ce qu’il avait fichu en l’air ? Il venait probablement de lui faire perdre son job et la confiance de ses clients ! Elle faisait pourtant bien son boulot, elle s’acharnait... Et voilà que deux inconnus avaient tout fichu en l’air !

Astrydd vit la paume de Roy se tourner vers le plafond mais elle l’ignora : elle regardait fixement son « protégé » et ses yeux semblaient cracher pour elle toute la haine qu’elle éprouvait envers lui. Il y avait de quoi, elle l’avait pris sous son aile et il lui rendait de la sorte... Ne répondant pas à sa question, le jeune spectre se redressa et massa son dos en grognant. Elle fit quelques pas, observa l’atelier saccagé. Elle observa les automobiles cabossées, ses étagères renversées. Certains de ses outils étaient devenus inutilisables et ceux-ci n’étaient pas donnés à l’achat ! Finalement, la colère laissa place au désespoir. La jeune femme prit son visage entre ses mains et vint appuyer ses fesses contre le capot d’une voiture. Elle allait avoir beaucoup, beaucoup de boulot. Cependant, ce qui la dérangeait le plus, c’était de savoir comment ses clients allaient réagir. La plupart étaient venus pour une simple réparation, alors ce n’était pas crédible de leur dire qu’elles allaient durer plus de deux semaines tout au moins... Elle ne pouvait décemment pas leur mentir. Puis une idée lui vint : est-ce qu’un animal aurait pu faire cela ? Ou un homme ?... Elle pourrait faire passer tout cela sur le compte d’un cambriolage... Elle laissa ses bras retomber le long de son corps et tourna lentement la tête vers Roy. Un sourire mauvais apparut sur son visage.

La situation était presque risible mais prise entre deux états d'âme, Astrydd se contenta d'adopter un air des plus sérieux. Ses yeux, son visage, sa tenue ne laissait rien penser de l'idée qui venait de s'installer dans son esprit et qu'elle comptait bien mettre en application. Tout en gardant les yeux sur Roy, elle glissa sa main dans sa poche, attrapa quelque chose - cela semblait être un petit portable, relativement vieux, bien loin des smartphones que l'on pouvait voir aujourd'hui -, composa un numéro et porta le combiné à son oreille. Elle se mit à taper du pied tandis que les tonalités lui indiquait que l'appel était en cours. Bientôt, elle se mit à parler tout en approchant de Roy.

- Hello, I need a very fast intervention around the Hansel District, dit-elle avant d'indiquer l'adresse exacte de son garage. A burglar tried to steal some vehicles and I caught him, he is locked in my garage.

Elle gratifia Roy d'un grand sourire entre deux réponses aux policiers.

Les policiers ne la retinrent pas bien longtemps au téléphone et au contraire, ce furent eux qui mirent fin à la conversation. D'un geste fier, Astrydd fit tourner son téléphone portable entre ses doigts avant de le remettre dans sa poche. Elle n'avait certes peut-être pas encore gagné mais elle n'hésiterait pas à user de ses capacités dissimulées pour retenir Roy suffisamment, le temps que les flics arrivent. Le kitsune ne semblait toutefois pas vouloir prendre la fuite ; au contraire, il s'était mis à l'aise et commençait à ramasser les objets éparpillés au sol. Le spectre perdit progressivement son sourire. S'il agissait de cette façon, il ne serait probablement pas considéré comme un cambrioleur par les policiers et cela remettait en question ses possibilités de s'en sortir... De même, la phrase qu'il venait de prononcer en disait long sur ses ressources cachés : Roy était plus malin qu'il en avait l'air. Bien plus malin. Astrydd fronça des sourcils et esquissa quelques pas près de lui. En passant à côté, elle ne put s'empêcher de lui accorder un regard de biais. Elle se dirigea vers la voiture sur laquelle Roy avait envoyé son veston et attrapa ce dernier entre ses mains. Peu importe que ses mains soient sales ou non, de toute manière ils étaient tous les deux dans un sale état après l'attaque de Devil Jersey.

- But you are the only one who stayed after this theft.

Elle s'éloigna à l'autre bout du garage pour aller accrocher le veston au porte-manteau prévu pour cela. Il était mieux ici. Chaque chose à sa place.

Lorsque Roy se dirigea vers la planche à roulettes - SA précieuse planche à roulette customisée -, Astrydd serra les dents. Elle redoutait à la fois qu'il la casse mais également qu'il refasse le bazar en voulant jouer avec elle. Lorsqu'il le vit filer en posant sa question, elle plissa les yeux, s'attendant au pire. Toutefois, il s'avérait que le monsieur avait un bon équilibre et il parvint à ramener la planche à roulettes vers la pile de pneus désorganisée avant de la poser sur l'étagère. Bon, ce n'était pas là qu'elle se rangeait mais... Disons que ça allait. Il aurait pu la laisser trainer et se la prendre dans les pattes un peu plus tard...

- I heard of them, but I don't believe in.

Elle se dirigea alors vers le bureau surélevé qui servait d'accueil aux clients pour y récupérer son petit cahier des charges. Revenant vers les voitures, elle fit le tour de celles-ci en notant toutes les réparations supplémentaires qu'il y avait à faire et fatalement, combien de temps elles prendraient. Malgré tout, elle constata que moins de véhicules qu'elle ne l'avait pensé avaient été touchés. Bon, il n'empêche que cela restait fort problématique mais si elle s'y mettait rapidement, elle pouvait s'en tirer assez bien.

Bientôt, le spectre entendit plusieurs voitures se garer dans le parking de son garage. Elle se posta à la sortie pour remarquer qu'il s'agissait de la police. Elle avait rappliqué plutôt vite ! Jetant un regard à Roy qui se tenait toujours près des pneus, elle ne fit aucune réflexion. Toutefois, elle était prête à parier qu'il savait également qui étaient les nouveaux arrivants. Comment allait-il réagir face à eux ? Et elle, qu'allait-elle leur dire ?

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[Tu peux les jouer si ça t'arrange ! ]

Comme si la situation n'était pas urgente - elle avait pourtant évoqué le fait que son voleur était bien enfermé ici... -, les deux hommes en tenue de service avancèrent dans le parking en observant distraitement les alentours. Par pur respect, Astrydd ravala un soupir tandis qu'elle jetait un œil à Roy qui cherchait ni à fuir, ni à se défendre. A le voir comme ça, c'était comme si... Comme s'il n'était que son associé. Qu'il travaillait ici depuis un bon moment. Bon... Expliquer tout cela au flic allait s'avérer compliqué compte tenu de la situation. Bientôt, les deux policiers lui firent face et l'un d'eux prit la parole pour lui demander ce qu'ils savaient déjà. Tant mieux quelque part, elle pourrait reformuler certaines choses et donner un peu plus de détails sur ce qu'il s'était passé ici... Après les avoir brièvement salué, Astrydd prit la parole. Elle avait pris soin de prendre son souffle, aussi bien pour tenir le rythme de ce qu'elle allait raconter que pour encaisser le mensonge dont elle allait faire part à ses deux interlocuteurs.

- Un homme s'est introduit ici il y a de cela une vingtaine de minutes. Comme le garage était ouvert et qu'on était occupés - elle désigna sommairement Roy de la main -, il en a profité pour détourner l'entrée officielle et est allé chopper des clés derrière le comptoir - elle tendit cette fois-ci sa main vers le lieu qu'elle venait d'évoquer. On a réussi à l'attraper et à récupérer les clés mais le type a réussi à s'enfuir en se défendant avec tout ce qui lui passait sous la main...

Naturellement, Astrydd prit un air triste, à la limite de l'angoisse, tout en observant son garage dévasté, ses yeux s'attardant sur quelques voitures qui avaient plus morflé que d'autres.

- Pouvez-vous faire quelque chose ? Je suis vraiment dans une sacrée galère avec tout ça...

Posant ses deux iris violettes sur les policiers, un petit rictus déforma sa bouche en une grimace.

Même si les propos du policier se voulaient rassurants, Astrydd ne voulait pas crier victoire trop vite. Elle avait des assurances, bien heureusement, mais elle se méfiait toujours des organisations en tête de ces dites assurances. Elle avait bien lu les petites lignes sur les différents contrats qu’on lui avait fait signer mais avec eux, on ne sait jamais... Tout peut changer d’un jour à l’autre parce que ça les arrange.

- And don't you have papers like these in your car, perhaps ?

Astrydd fut étonnée d’entendre la voix de Roy s’élever. Elle aurait cru qu’il serait resté discret jusqu’au bout puisqu’il était en grande partie responsable du carnage. Le spectre haussa un sourcil en lui accordant un regard tandis que les policiers acquiesçaient. L’un tourna les talons pour s’éloigner vers sa voiture, garée sur le parking en dehors du garage, vite rejoint par l’autre. Astrydd et Roy se retrouvèrent ainsi seuls.

- Never thought you'll ever love having my back like that ~

La demoiselle se crispa et serra les poings mais elle ne répondit pas immédiatement à ce qui était pour elle une provocation supplémentaire. Ce ne fut que lorsque les policiers quittèrent leur véhicule, des documents en main, qu’elle daigna lui accorder une phrase, toute seule.

- We are two in this case.

Il ne fallait pas oublier qu’elle avait préféré prendre sa défense plutôt que le dénoncer. Enfin, si elle avait choisi la seconde option, elle était sûre que Roy, malin comme il était, aurait été capable de s’en sortir plutôt bien... En y songeant, elle avait sûrement pris la bonne décision, ne serait-ce que pour elle et son garage.

- Voilà ma petite dame : ces papiers détaillent et attestent de l’effraction que vous avez subi. Je vous laisse en prendre connaissance et signer ?

Astrydd hocha de la tête en attrapant les documents, formulant un bref « merci » à l’égard des deux hommes armés. Délaissant le petit groupe, elle se dirigea vers son comptoir pour pouvoir y poser les papiers, les lire et les signer tranquillement. Elle revint après avoir rapidement pris connaissance du contenu, vérifiant que la description de l’effraction correspondait bien à ce qu’elle avait raconté. Elle s’assura également que la partie concernant les assurances lui convenait. Astrydd tendit une partie des documents, conservant ceux qui étaient réservés à son assurance et à elle-même. Les deux bonhommes leur assurèrent une nouvelle fois que tout ceci serait réglé très vite et qu’elle serait tenue au courant de la progression de son dossier et ils disparurent aussi posément qu’ils étaient arrivés. Le spectre regarda la voiture quitter le parking depuis l’entrée de son garage. Droite, immobile et les mains dans le dos, elle finit par tourner lentement la tête vers Roy.

- Now, can you explain me what was this thing?

Elle parlait bien entendu de la créature qui poursuivait Roy. Maintenant que l’adrénaline était retombée et le calme revenu sur le garage, elle était en droit de savoir.